Tu as pu découvrir dans le numéro de décembre le récit gagnant de l’édition 2025 du concours Mots d’elles : le texte de Jeanne, consacré à Jane Austen. Il y a deux autres gagnantes, dont tu vas pouvoir découvrir les textes dans Juliemag.

Voici le récit de Juliette, 13 ans, autrice du texte sur Lucie Aubrac : « Lucie Aubrac : Résister se conjugue toujours au présent ».

Juliette pratique : le chant, le yoga et l’escalade.

Aime : lire et écrire.

Ses rubriques préférées sont : « Elles font l’actu » et le Journal Momoche.

« J’habite près de Lyon et, dans ma famille, l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et de la Résistance est importante. C’est pour cela que j’ai choisi de parler de Lucie Aubrac. J’ai donc fait des recherches sur Internet et sur des livres documentaires pour trouver un moment clé de sa vie. En faisant ces recherches, j’avais des idées de phrases qui me venaient directement ! J’ai mis environ une semaine à l’écrire, en y revenant plusieurs fois. C’était au mois de juin et, en parallèle, je lisais un roman d’action : je pense qu’il m’a influencée dans l’écriture. J’avais envie de phrases percutantes ! Je rêve de devenir écrivaine, j’écris beaucoup depuis mes 9 ans ! »

« Lucie Aubrac : Résister se conjugue toujours au présent »

L’air est froid, ce matin de septembre 1943. Je marche dans les rues de Lyon, droite sur mes talons, bien que le poids du bébé dans mon ventre me fasse pencher. J’arrive très rapidement devant le siège de la Gestapo de Lyon. Deux soldats allemands me toisent du regard. Cela fait plus de quatre ans qu’ils sont présents en France, mais je n’arrive toujours pas à m’y habituer. J’ai toujours détesté être opprimée, surveillée. À 17 ans, j’étais à Paris pour devenir institutrice et, déjà, j’avais refusé de porter l’uniforme imposé par l’internat. Même Raymond me dit que j’ai un caractère bien trempé. Raymond… Il n’est pas si loin de moi, enfermé dans ce bâtiment, avec les autres résistants de Caluire. Il me manque horriblement, depuis ce 21 juin où la Gestapo l’a emmené loin de moi. Je ne dois pas y penser pour l’instant : me concentrer, ne pas oublier ce que je dois dire et faire. J’arrive dans une pièce allongée. L’entrée est à moitié bouchée par un bureau de secrétaire où une femme s’active à trier des dossiers. Sans attendre qu’elle s’intéresse à moi, je prends la parole : « Bonjour, je viens voir la personne qui s’occupe des arrestations de Caluire. Pourriez-vous la prévenir ? » La secrétaire lève brusquement la tête, me dévisage, incrédule. Mon tailleur neuf et mes beaux bijoux doivent l’impressionner. Mais le détail qui la bloque, c’est mon ventre gonflé. J’essaie de prendre un air fatigué, sans pouvoir m’empêcher de réciter mes phrases avec assurance : « Excusez-moi, madame ? Qu’avez-vous dit ? », me demande-t-elle sur un ton hargneux. « Je viens voir la personne qui s’occupe des arrestations de Caluire. Je dois lui parler. » La femme se lève et va chercher deux, puis trois hommes. Dans un allemand complexe, ils m’invitent à les suivre. Enfin. Mais le plus dur arrive.

C’est finalement cinq personnes qui m’accompagnent. Je marche le plus vite possible, chaque minute compte. Le stress commence à monter, mais surtout, garder la tête froide. Sinon, tout sera fichu. J’arrive devant une porte noire, avec les cinq hommes. Elle s’ouvre. Klaus Barbie, le chef de la Gestapo, se tient devant moi. Il me toise d’un regard totalement dénué de chaleur humaine. Ma grossesse pourrait l’attendrir mais non. Il m’invite à m’asseoir. Je commence donc mon récit : « Bonjour, monsieur, mon nom est Guillaine de Barbentane. Comme vous le voyez, je suis enceinte. Cela me réjouit, mais vous avez arrêté le père de cet enfant. Je voudrais vous demander si… » « Aucune conversation avec les résistants n’est autorisée », tranche froidement Barbie. Mon cœur bat la chamade, mon cerveau tourne à mille à l’heure. Surtout, ne pas oublier le texte, ni mon objectif. Avec une voix brisée, je reprends : « Monsieur, je vous en prie, écoutez-moi. François et moi ne sommes pas mariés. Pourrions-nous y remédier avant son exécution ? Je… » « Madame, je vous le répète, il ne sortira pas. Cet homme est un terroriste », dit Barbie, glacial.

C’est alors que j’ai comme un choc, j’ai tout d’un coup tellement peur… La comédie laisse place à la réalité, et mes jambes cessent de me soutenir. Je tombe bruyamment, des larmes chaudes de tristesse emplissent mes yeux. De vraies larmes. Le chef de la Gestapo se lève brusquement de son siège et me regarde pendant quelques secondes, désemparé. Puis, il soupire et, en m’aidant à me relever, déclare sur un ton accablant « Très bien, vous signerez le contrat de mariage ici. » Je me remets sur pied et, quand je sors du bureau, je suis si fière ! Raymond va être sauvé.

ÉPILOGUE

Ce jour-là, Lucie Aubrac réussit à transférer à son mari des informations sur son évasion. Le 21 octobre 1943, elle le libère, ainsi que treize autres résistants, en interceptant le camion qui les conduit à leur exécution, avec l’aide du groupe central lyonnais. Aujourd’hui encore, elle reste l’une des plus grandes figures de la résistance féminine, avec sa célèbre phrase : « Le mot résister doit toujours se conjuguer au présent. »